
Peindre l'invisible
Origines
Je viens du Pays Basque, non pas comme on naît quelque part, mais comme on porte une terre au fond de soi : un souffle d’océan, une échine de montagne. Très tôt, c’est la poésie qui m’a ouvert la voie. J’ai affûté mon regard en contemplant les poèmes comme d’anciennes gravures qui me montraient le chemin. Dans l’entrelacs des mots, j’ai compris qu’un royaume invisible existe, où les émotions sculptent le vivant et où les idées scintillent comme des constellations.
Puis est venue la peinture : un poème sans alphabet, un langage fait de gestes, de couleurs et de silences. Au début, je croyais chercher une simple traduction visuelle de mes mots ; j’ai découvert bien plus : un champ où la conscience disparaît, où le corps devient stylo et la toile, page vivante. L’abstraction s’est imposée comme une évidence : elle laisse des interstices, des respirations où chacun peut déposer son propre récit.

Processus

Créer, pour moi, c’est entrer dans un instant suspendu, un espace hors du temps, où je ne fais plus qu’un avec la toile. Un intervalle précieux, presque sacré, où les gestes prennent le relais des mots, où les couleurs s’entrechoquent, s’épousent, pour ne former qu’un grand tout. De chaque toile naît un élan de liberté, chaque éclaboussure est une pulsation, un cri silencieux. La toile devient mémoire du geste, vestige d’un instant intérieur figé dans la matière, une tentative de garder vivante une vibration éphémère, fragile mais vraie.
Elle devient alors un lieu de rencontre : entre ce que j’ai déposé et ce que l’autre saura y ressentir. C’est un dialogue secret entre l’invisible et la matière, entre ce qui me traverse et ce qui, peut-être, viendra vous toucher.



Ce n’est pas seulement de la peinture : c’est une empreinte. Les vestiges de couleur que je laisse sont chargés de ce que les mots ne savent pas dire : un battement du cœur, une tension dans le souffle, une marque du passé qui parle sans expliquer. Dans l’explosion des nuances, dans les mouvements fougueux ou doux, il y a ce que j’ai vécu sans le formuler, ce que j’ai ressenti sans le comprendre. Ce sont les échos d’un monde intérieur : elles murmurent ce qui ne s’écrit pas, ce qui ne se montre pas.
Le murmure des toiles
Chaque tableau est une étoile isolée. Un éclat singulier, né d’un instant de vie, d’une cicatrice oubliée, d’un souffle d’âme. Chacune de mes toiles est un fragment brut, une vibration déposée dans la matière. Elles naissent du chaos, du silence ou d’un vertige intérieur ; elles portent une histoire, une mémoire sensible, parfois insaisissable. Mais mises côte à côte, elles dialoguent. Elles tissent une constellation intime, une cartographie de l’invisible où chaque nuance, chaque geste, chaque vide entre les formes raconte un lien secret. Comme les pièces d’un puzzle émotionnel, mes œuvres s’assemblent sans s’uniformiser. Elles conservent leur voix propre tout en appartenant à un chœur plus vaste. Ensemble, elles deviennent un corps vivant : un organisme fait de souvenirs, de visions, de révoltes douces et d’élans lumineux. Un champ d’énergie où les teintes se répondent, où les contrastes s’équilibrent, où les silences se prolongent.


Au travers de mes œuvres, je cherche une harmonie intérieure, comme un dialogue silencieux entre l’œuvre et celui qui la regarde. Que chacun y perçoive des éclats, des fragments d’émotions, et puisse les accueillir comme les siens. Mes œuvres sont des miroirs émotionnels, capables parfois de mettre une image sur un souvenir enfoui, un instant traversé, une cicatrice restée sans mots. C’est dans cet écho que l’art prend tout son sens, lorsqu’il relie les âmes entre elles, au-delà des mots, des différences, des silences.

Dans un monde qui s’accélère, qui efface l’intime dans le vacarme du flux, je veux que mes tableaux soient des refuges, des haltes sensibles où l’on prend le temps de ressentir, de se reconnecter à soi, aux autres, à ce qui nous échappe. Mon art est là pour déposer du sens, ouvrir des respirations dans la densité du réel, offrir une forme de résistance douce : un acte de poésie face à l’urgence, un contrepoids à la superficialité. Créer, c’est rendre visible l’invisible. Et dans cette mise en lumière de l’âme, je crois qu’il y a une force de transformation silencieuse, une autre façon d’habiter le monde, plus vaste, plus profonde, plus humaine.